Coronavirus : l’impact de l’état d’urgence sur la justice pénale

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Tout comme les entreprises, les juridictions pénales doivent, elles aussi, trouver le moyen de s’adapter pour continuer à fonctionner pendant la période couverte par l’état d’urgence sanitaire. Revue de détail…

Une modification de certains délais

Il est tout d’abord prévu que les délais de prescription de l’action publique (délai dont dispose la justice pour engager des poursuites contre un contrevenant), ainsi que les délais de prescription de la peine, sont désormais suspendus à compter du 12 mars 2020 et jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la cessation de l’état d’urgence sanitaire.

Dans le même esprit, les délais existants permettant d’exercer une voie de recours (appel notamment) sont doublés, sans pouvoir être inférieurs à 10 jours.

Ce doublement des délais n’est toutefois pas applicable au délai de 4 heures suite à la notification au Procureur d’une ordonnance de mise en liberté, durant lequel un mis en examen ne peut pas être remis en liberté.

Notez que tous les recours et toutes les demandes peuvent être formulé(e)s par lettre recommandée avec accusé de réception, y compris les demandes au juge d’instruction, les appels et les pourvois en cassation. Ils peuvent également être déposés par courrier électronique.

Dans cette situation, les courriels donneront lieu à l’émission d’un accusé de réception électronique par la juridiction : ils seront donc considérés comme reçus à la date d’envoi de cet accusé.

Quant à la tenue des audiences, elle est, elle aussi, modifiée pour tenir compte de l’état d’urgence sanitaire. L’ensemble des juridictions pénales, à l’exception des juridictions criminelles, pourront recourir à un moyen de télécommunication audiovisuelle pour tenir audience et ce, sans qu’il ne soit nécessaire de recueillir l’accord des parties.

En cas d’impossibilité technique de recourir à de tels moyens, le juge pourra décider d’utiliser tout autre moyen de communication électronique (téléphone compris) permettant d’assurer la qualité de la transmission et l’identité des personnes et de garantir la confidentialité des échanges entre les parties et leurs avocats.

Avant l’ouverture de l’audience, le juge pourra décider de restreindre le public présent ou, s’il est impossible de garantir les conditions nécessaires à la protection de la santé des personnes présentes, de la tenir à huis clos.

Même lorsque le huis clos aura été ordonné, et dans les conditions fixées par le juge, les journalistes pourront être autorisés à assister à l’audience.

Outre l’audience, le juge pourra aussi restreindre le public présent au prononcé de la décision ou décider de la rendre à huis clos. Dans ce cas, le jugement devra être affiché sans délai dans une partie du tribunal accessible au public.

Ces mesures « restrictives » s’appliquent également devant la chambre de l’instruction et pour les audiences tenues et décisions rendues par le juge des libertés et de la détention.

Concernant les gardes à vue

Il est désormais prévu que l’entretien entre un avocat et un gardé à vue, ainsi que les prestations d’assistance fournies par l’avocat, puissent se dérouler par l’intermédiaire d’un moyen de communication électronique (téléphone compris), dans des conditions propres à garantir la confidentialité des échanges.

Cette mesure s’applique aussi lorsque la personne n’est pas gardée à vue, mais placée en rétention douanière.

Il est également prévu que les prolongations de garde à vue des mineurs de 16 à 18 ans, ainsi que celles prononcées en matière de criminalité ou délinquance organisée et en matière de crime, pourront être décidées sans que le gardé à vue n’est à comparaître devant le juge.

Concernant la détention provisoire

En matière correctionnelle, les délais maximums de détention provisoire ou d’assignation à résidence sous surveillance électronique sont prolongés de 2 mois lorsque la peine d’emprisonnement encourue pour l’infraction commise est inférieure ou égale à 5 ans. Dans les autres cas, la prolongation est fixée à 3 mois.

Notez que, malgré tout, le juge garde la possibilité d’ordonner, à tout moment, sur demande du Ministère public ou de l’intéressé, la mainlevée de la mesure avec, le cas échéant, assignation à résidence sous surveillance électronique ou sous contrôle judiciaire.

En matière criminelle, les délais maximums de détention provisoire ou d’assignation à résidence sous surveillance électronique sont prolongés de 6 mois.

Ces prolongations s’appliquent aussi, en matière criminelle, aux mineurs âgés de plus de 16 ans qui encourent une peine d’emprisonnement d’au moins 7 ans.

Attention, ces prolongations exceptionnelles ne seront applicables qu’une seule fois par procédure.

Concernant les comparutions immédiates, les délais sont aussi prorogés, selon les procédures, à 6 jours au lieu de 3, à 10 semaines au lieu de 6, à 6 mois au lieu de 4, à 4 mois au lieu de 2.

Quant aux délais dont disposent la chambre de l’instruction ou le juge pour statuer sur une demande de mise en liberté ou sur tout autre recours en matière de détention provisoire et d’assignation à résidence sous surveillance électronique ou sous contrôle judiciaire, ils sont augmentés d’un mois.

Le juge des libertés et de la détention dispose désormais d’un délai de 6 jours ouvrés pour statuer sur une demande de mise en liberté.

Pour les prolongations de détention provisoire, le juge des libertés et de la détention peut statuer au vu des réquisitions écrites du Procureur et des observations écrites de la personne et de son avocat, lorsque le recours à un moyen de télécommunication audiovisuelle n’est pas possible. Dans cette situation, l’avocat pourra tout de même présenter des observations orales s’il en fait la demande.

Enfin, pour les pourvois déposés en matière de détention provisoire, la Cour de Cassation dispose d’un délai de 6 mois (au lieu de 3 mois) pour statuer.

Ces mesures s’appliquent aux détentions provisoires en cours ou débutant entre le 26 mars 2020 et la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré et, le cas échéant, prorogé.

Concernant les peines privatives de liberté

Pendant la crise sanitaire, les personnes mises en examen, prévenues et accusées peuvent être affectées dans un établissement pour peines (maisons centrales, centres de détention, etc.).

Quant aux condamnés, ils peuvent être incarcérés en maison d’arrêt, quelle que soit la durée de leur peine.

Pour lutter contre l’épidémie de coronavirus, tous pourront être incarcérés ou transférés dans un établissement pénitentiaire sans l’accord ou l’avis préalable des autorités judiciaires.

Le juge de l’application des peines peut statuer au vu des réquisitions écrites du Procureur et des observations écrites de la personne et de son avocat, lorsque le recours à un moyen de télécommunication audiovisuelle n’est pas possible. Dans cette situation, l’avocat pourra tout de même présenter des observations orales s’il en fait la demande.

Si le Procureur souhaite faire appel de la décision du juge, il dispose dorénavant d’un délai de 4 mois (au lieu de 2 mois).

Les réductions de peine, autorisations de sorties sous escorte et permissions de sortir peuvent être ordonnées, sans consultation de la commission de l’application des peines, lorsque le Procureur émet un avis favorable.

En revanche, le juge ne pourra ordonner une libération sous contrainte, sans avis préalable de la commission, que si le condamné dispose d’un hébergement et que s’il peut être placé sous le régime de la libération conditionnelle.

Si le détenu dispose d’un hébergement, le juge pourra décider de suspendre la peine sans débat contradictoire. Il pourra aussi prendre la décision de suspendre la peine, sans débat contradictoire, pour la durée d’hospitalisation du condamné, au vu du certificat médical établi par le médecin responsable de la structure sanitaire dans laquelle est pris en charge le détenu.

Concernant la réduction de peine pour circonstances exceptionnelles

Au vu de la situation actuelle, le juge de l’application des peines a la possibilité d’accorder une réduction supplémentaire de peine de 2 mois maximum, en cas d’avis favorable du Procureur, aux condamnés écroués pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire.

Cette réduction de peine pourra aussi profiter aux condamnés dont la situation est examinée après l’expiration de la période d’urgence sanitaire.

Attention, les personnes suivantes ne pourront pas bénéficier de cette mesure exceptionnelle :

  • les condamnés et écroués pour des crimes, des faits de terrorisme ou des infractions commises avec circonstance aggravante (ici, celles commises par le conjoint, concubin ou partenaire de Pacs, ou par l’ex conjoint, concubin ou partenaire de Pacs) ;
  • les détenus ayant initié ou participé à une action collective, précédée ou accompagnée de violences envers les personnes ou de nature à compromettre la sécurité des établissements ;
  • les détenus ayant eu un comportement de mise en danger des autres détenus ou du personnel pénitentiaire, au regard des règles imposées par le contexte sanitaire actuel.

Il est également prévu que les détenus condamnés à une peine d’emprisonnement d’une durée inférieure ou égale à 5 ans, et à qui il reste 2 mois ou moins à exécuter, pourront effectuer le reliquat de leur peine en étant assignés à domicile, avec l’interdiction de sortir, sous réserve des déplacements justifiés par des motifs familiaux, professionnels ou de santé impérieux.

Ne profiteront pas de cette mesure :

  • les condamnés et écroués pour des crimes, des faits de terrorisme, des atteintes à la personne lorsqu’elles ont été commises sur la personne d’un mineur de moins de 15 ans, ou des infractions commises avec circonstance aggravante (ici, celles commises par le conjoint, concubin ou partenaire de Pacs, ou par l’ex conjoint, concubin ou partenaire de Pacs) ;
  • les détenus ayant initié ou participé à une action collective, précédée ou accompagnée de violences envers les personnes ou de nature à compromettre la sécurité des établissements ;
  • les détenus ayant eu un comportement de mise en danger des autres détenus ou du personnel pénitentiaire, au regard des règles imposées par le contexte sanitaire actuel.

Notez que si, pendant la durée de son assignation à résidence, le condamné ne respecte pas les obligations qui lui ont été imposées ou s’il est condamné pour un autre crime ou délit, il pourra être réincarcéré pour la durée de la peine qui lui restait à exécuter au moment de l’assignation à domicile.

Concernant les mineurs poursuivis ou condamnés

Le juge des enfants peut, lorsque le délai prévu des mesures de placement d’un mineur arrive à échéance au cours de la période d’urgence sanitaire, et sans audition des parties, proroger ce délai pour une durée ne pouvant excéder 4 mois.

Dans cette situation, il doit en informer le Procureur, l’enfant concerné et ses parents.

Il pourra également proroger le délai d’exécution des autres mesures éducatives pour une durée ne pouvant excéder 7 mois.

Source : Ordonnance n°2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19

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